Occupation : les lettres
Grüß Gott !
Des écrivains français, pendant l’Occupation allemande, écrivent et publient.
Youtube / Duels Camus Sartre / Une amitié déchirée / Video / 2022 / Internet:
« Les vies de Sartre et de Camus ont été bousculées par la guerre. Sartre, prisonnier quelques mois en Allemagne, avait réussi à rentrer en France, début 41, grâce à un faux certificat médical. Il avait ensuite tenté de résister, brièvement, avant de se consacrer à la littérature. Camus avait voulu s’engager, mais on lui avait interdit, à cause de sa tuberculose. Un temps en France, puis en Algérie, lui aussi a continué à écrire. Camus arrive en 1943 dans un Paris, où malgré l’Occupation, la vie culturelle ne se porte pas si mal. En juin, Sartre monte au Théâtre de la Cité sa première pièce, Les Mouches, mise en scène par Charles Dullin. Dans la foule, un inconnu vient se présenter à Sartre, Albert Camus. » (…)
« Autour de Picasso, une pléiade de célébrités. Parmi elles, le psychanaliste Jacques Lacan, l’ethnologue Michel Leiris, et l’écrivaine Simone de Beauvoir, la compagne de Sartre. Tous vont jouer en cachette dans un appartement, le Désir attrapé par la queue, une farce de Picasso. C’est Camus qui, à la demande de Sartre, a fait la mise en scène et qui, d’un coup, cotoie d’égal à égal, les esprits les plus brillants de son temps. » (…)
« Sartre avait donné, depuis 43, des articles aux Lettres françaises clandestines, où il fustigait la littérature de la Collaboration. Les vents nouveaux de l’histoire qui s’annoncent vont bientôt lui fournir l’occasion de s’engager au vu et au su de tous. » (…)
« Ici, Radio diffusion de la nation française. Voici Albert Camus, déjà connu comme écrivain, qu’on découvre rédacteur en chef de Combat : « Il a fallu cinq années de luttes obstinées, silencieuses, pour qu’un journal né de l’Esprit de résistance, publié sans interruption à travers tous les dangers de la clandestinité, puisse paraître enfin au grand jour, dans un Paris libéré de sa honte. »
Albert Camus, fils d’Alger / Alain Vircondelet / Fayard / 2010 / Internet:
« La vie au Panelier se déroule au rythme des saisons. Il y a vu l’éblouissement flamboyant de l’automne, l’impeccable manteau blanc de l’hiver sur les labours et déjà pointent les premiers jours du printemps, avec l’apparition des « premières pervenches ». L’effroi (c’est son mot) de la mort le reprend, un matin qu’il crache de nouveau du sang. La mort, seule évidence stable dans le mouvement permanent du monde. »
« Camus ne peut prolonger son séjour plus longtemps. Il sent qu’il s’use et se dessèche au Panelier, malgré la grâce de nouveaux paysages, qui lui sont étrangers. Empêché de rentrer en Algérie, il va effectuer des allers-retours réguliers entre Saint-Etienne, pour ses insufflations hebdomadaires, Lyon et Paris, où il finit d’ailleurs par s’installer temporairement. Grâce à l’entregent de Pascal Pia, il a obtenu un poste de lecteur chez Gallimard, les maigres revenus de Charlot ne suffisant décidément pas, et l’argent que lui envoie Francine d’Alger, via le Portugal, ne lui parvenant pas… » (…)
« Paris, quant à elle, lui laisse un goût amer. Il y a retrouvé quelques amis et le quartier de Saint-Germain-des-Prés, mais l’occupant le désespère. Au cours de l’été de 1943, il rédigera d’ailleurs des Lettres à un ami allemand, où il affirmera sans peur la nécessité de la Résistance. Ses réticences pacifistes ne sont plus qu’un lointain souvenir. Mais quelle douleur aussi, que d’être contraint à se battre quand tout en soi s’y refuse ! « C’est beaucoup que de se battre en méprisant la guerre… », écrit-il. » (…)
« Une fausse carte d’identité lui est délivré au nom d’Albert Mathé, datée du 20 mai 1943, ce qui laisse à penser qu’il exerçait déjà depuis plusieurs semaines, ou des mois, une activité résistante de sa résidence du Panelier. Ses quatre Lettres à un ami allemand atteste par ailleurs son engagement : « Nous serons les vainqueurs, vous n’en doutez pas… Nous avons nos certitudes, nos raisons, notre justice : votre défaite est inévitable. »
« Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’energie de la violence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai, et l’homme que nous espérons des dieux lâches que vous révérez. »
« L’âpreté du ton rélève la hardiesse de son engagement et l’énergie qu’il va y déployer. Pour l’heure, l’action sera discrète, sachant que seuls « le silence et la mémoire » permettent encore de rendre justice aux victimes des nazis. » (…)
« Se souvenant peut-être de la passivité de certains Français, il déclare : « Ne dites pas : « Cela ne me concerne pas. Je vis à la campagne, et la fin de la guerre me trouvera dans la paix où j’étais déjà au début de la tragédie. » Cela vous concerne » (Combat, 56, avril 1944) » Il évoque la grande force des opprimés qu’est la solidarité dans la souffrance… » (…)
« Camus s’emploie donc à dénoncer la collaboration, exalte la résistance « sortie de terre », armée courageuse et inaliénable désormais ; il dénonce Pétain et ses acolytes, et en appelle au sacrifice des Français avec des accents bernanosiens. L’occupation de Paris n’est plus qu’une affaire de jours. Chacun sait que va s’engager une bataille décisive. Révolutionnaire, selon ses mots. » (…)
« Le jour où Camus présente Maria Casarès à ses amis, au cours d’une fête chez les Dullin, dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les Alliés débarquent en Normandie. La représentation du Malentendu tourne le 24 juin à la bataille d’Hernani, et la libération de Paris est proche… Dans ce chaos, dans ce désordre du monde et de l’Histoire, Camus se fraie, impassible, son chemin de vie. »
Histoire de Vichy / François George Dreyfus / Editions de Fallois / Paris / 2004:
« Ce qui est important, c’est que des éditeurs, Gallimard, Grasset, Denoël, n’ont aucun mal à trouver des lecteurs. » (…)
« Mais est-ce que les restrictions ou la censure ont eu une influence sur la littérature elle-même ? Un Camus, un Sartre, Gide, Mauriac, Paulhan et même Eluard et Aragon acceptèrent d’être édités et par conséquent de se soumettre à la censure. Que d’agenouillements et de reniements, d’ingratitudes, de parjures dans le monde des lettres françaises écrivait Jean Zay dans sa prison, qui ajoutait: […] si quelques écrivains sauvent l’honneur par […] leur silence, combien d’autres, et qui ne sont pas toujours des moindres, s’empressent à servir les nouveaux dieux dans un étrange oubli de leur passé et de leur oeuvre. » (…)
« Ainsi va la vie littéraire qui, si elle n’est pas extraordinairement brillante, est loin d’être insignifiante : Camus, Sartre, Maurice Blanchot, Pierre Emmanuel, font véritablement leur entrée dans le monde des lettres. » (…)
Ecrire ou combattre / Des intellectuels prennent les armes / 1942-1944 / Fabienne Federini / La découverte / 2006:
« Mais au-delà de ces quelques cas, c’est finalement une majorité d’écrivains qui va « s’accommoder » de ces nouvelles régles et accepter d’être édités. (…) Il y aussi Albert Camus, qui vit en Algérie de janvier 1941 à août 1942, et qui préfère la capitale occupée à son éditeur d’Alger. Un roman, L’Etranger, et un essai, Le mythe de Sisyphe, publiés par Gallimard en 1942, assoient sa réputation et lancent une carrière fulgurante. Il a fallu pour cela supprimer dans le deuxième livre un chapitre consacré à Kafka ; le désir de paraître était le plus fort. Le succès de son premier roman l’Etranger, qui atteint en 1942 plus de 4.000 exemplaires le fait très vite apparaître comme un des auteurs majeurs de la rive gauche. Seul une minorité d’écrivains et de poètes refusent donc de publier dans les conditions qui leur sont désormais imposées. »
La vie parisienne sous l’Occupation / Paris le jour / 1940-1944 / Hervé le Boterf / France Empire / 1974:
„ Celui qui succédera par la suite à Paul Valéry à l’Académie française décide de reprendre la plume. Il n’est pas le seul, loin de là, car on peut compter sur les doigts des deux mains les auteurs qui remisent leur stylographe dans un tiroir jusqu’à l’arrivée des Alliés. Malraux, certes, se fait éditer à Genève, et Jules Romains, comme Bernanos, en Amérique où tous deux se sont exilés. Mais sur le territoire français, qui refuse catégoriquement de soumette ses manuscrits au visa de la Propagandastaffel ? Pratiquement personne.“
„ A Jean Guéhenno, l’une des exceptions de marque qui confie à son journal le 30 novembre 1940 : „ Pourquoi écrire encore ? Il n’est plus guère possible de douter du ridicule qu’il y a à exercer un métier si personnel… La prison risque d’être longue “ André Gide a déjà répondu trois mois auparavant dans son „Journal intime“ : « A quoi bon se meurtrir aux barreaux de la cage ? Pour moins souffrir de l’étroitesse de la cage, il n’est que de se tenir bien au milieu. »
« Ce conseil semble avoir été parfaitement entendu par l’ensemble des écrivains. Même ceux qui, comme Sartre, Paulhan, Aragon, Mauriac, Eluard, Camus, Duhamel, Elsa triolet, Simone de Beauvoir, semblent les plus hostiles à la politique de collaboration, n’éprouvent aucun scrupule à faire publier, avec l’imprimeur allemand, leurs œuvres et non des moindres, puisqu’il s’agit, entre autres, de « l’Etre et le Néant », « Les Fleurs de Tarbes », « Les Voyageurs de l’Impérial », « Le Mythe de Sisyphe », « l’Etranger », « l’Invitée. », etc. »
************************************
„ Même ceux qui … “
–
Claire GRUBE
–